Si, pendant beaucoup d?années, la polenta, la ?mămăliga? roumaine, n?a fait que remplir le ventre révolté, le temps est venu aujourd?hui qu?elle comble les trous noirs de la mémoire.

 

A chaque fois qu?on demande aux gens ?comment? on mangeait dans le passé, un soleil jaune et douloureux se l?ve doucement ? l?orée, du côté du village: ?Est-ce qu?ils rirons de nous? Est-ce qu?ils s?en moqueront? Car nous avons mangé ce que nous avons pu, de la polenta surtout?. Vous, ceux d?aujourd?hui, vous ne pouvez pas comprendre, vous ne pouvez que rire. C?est ainsi que débute un discours qui sépare volontairement, deux mondes. Un ?alors? inaccessible pour nous, non pas ? cause du temps écoulé, mais parce qu?? premiere vue, ce sont les codes qui nous manquent. Des famille nombreuses, des parents partis trop tôt, une correspondence implacable entre combien on s?me et combien on mange, des nuits blanches passées avec l?angoisse du lendemain, autrement dit: ?mămăligă?. ?Je remercie Dieu que j?ai pu vivre ainsi, car je n?etais ni trop bien v?tue, ni reposée, ni bien nourrie.? Chaque jour est un combat et ceux qui survivent sont des héros. Rien ne peut représenter de façon plus suggestive ces réalités-l? que l?image de la famille assise en cercle autour de la polenta ronde. J?appellerai cette image ?la polenta hero?que?. Elle est ? égale mesure mangée et vécue et celui qui est passé par sa vapeur et sa chaleur ardente, n?en a gardé, pendant de longues années, que le regard hargneux et impitoyable. Les gens d?aujourd?hui, jugés a travers ce souvenir, ne sont que des gaspilleurs et des rassasiés. Ils éveillent la col?re de Dieu par leur vanité.

Plus tard, la polenta peut devenir parfois problématique, inqui?te, polémique. Elle est, nous pourrions dire, une polenta critique. La discussion se déroule en termes de conflit des générations, conflit familial et identitaire. Au gendre, venu d?une autre région du pays, ayant une autre confession religieuse et une mani?re nonchalante d?aborder les difficultés de la vie, on pardonne tout, sauf sa façon de se rapporter ? la nourriture. Ses gestes sont chargés de significations, resémantisés de sorte que, ? partir de ce qu?il mange, on lui construit une culpabilité généralisée. Une étude entrprise dans le cadre de la question du genre pourrait analyser la mani?re dont, sur ce terrain s?engage en fait un combat pour la détention du pouvoir dans la famille. Et il s?agit toujours, en derni?re instance, de la polenta du passé, celle qui incline la balance en faveur du pôle féminin du binôme des tensions belle-m?re / gendre, celle qui renforce et va légitimer l?autorité.

Le geste, le rituel du rassemblement de la famille autour de l?âtre o? on mangeait la polenta est resté. M?me si maintenant les affaires de la famille prosp?rent et si sur la table, ? la place de la polenta, on dispose, de façon presque ostentatoire, un fruit exotique, jaune comme la polenta et tout aussi grand, si possible. Et pendant qu?ils tranchent des morceaux de pomelos, tantôt la femme, tantôt le mari racontent des souvenirs du temps o? ils mangeaient de la polenta. Ce sont des temps passés et c?est pourquoi, eux, ceux qui y vivaient, sont regardés par ceux d?aujourd?hui avec une certaine condescendence. Ce n?est que la polenta d?antan qui peut mesurer la distance parcourue jusqu?au pomelos d?aujourd?hui. Et il nous faut la regarder de temps en temps ? travers des jumelles puissantes, parce que c?est une polenta contrastante.

Il n?est pas moins vrai, qu?? son epoque, on pouvait manger de la polenta ? la maison tant qu?on voulait, mais qu?on ne se permettait pas d?en emporter au champ et de la manger sous les regards des autres. Quelqu?un du village qui serait passé sur la route pendent que la famille était réunie pour manger, n?aurait jamais pris pour des tranches de pain les tranches jaunes de polenta dans lesquelles ils mordaient. Le plus grand souci était alors de s?assurer que, sur le champ, la polenta soit couverte. Passant de la sph?re privée ? la sph?re publique, cette bouillie de farine de ma?s et d?eau devient une polenta honteuse. On ne sait pas pourquoi, il y a longtemps dans un village de Maramureș, un homme aurait préparé une fois plusieurs polentas l?une apres l?autre. Depuis; on lui a donné le surnom de ?Trois polentas?.  (?Tricoleși? . ?Ionu Tricoleșii?). La honte de ce nom a été un fardeau porté depuis par tous les descendents, fils mais surtout filles qui ont craint longtemps qu?? cause de ce nom, elles ne pourraient pas se marier. Mais apr?s une période pendant laquelle le ma?s a commence ? ?tre apporté en wagons de chemins de fer, du Banat, la polenta a gagné, m?me dans ce coin de pays, le droit d??tre jugée d?un autre oeil. Jusqu?? la destruction  des C.A.P. ( les collectifs agricoles de productions), ceux qui partaient du Maramureș dans les zones de plaine, rapportaient par les chemins de fer, la paie d?une été de travail sous forme d?épis de ma?s. Ensuite, les hommes moulaient une bonne farine et, pendant tout l?hiver, les femmes pouvaient en faire une polenta cosmopolite.

Grâce ? la bonne incorporation de certains de ces attributs, nous assistons aujourd?hui ? la cosmetisation du fantôme de la polenta, juste ce qu?il faut pour quelle finisse par se transformer en un brand agro-touristique. Mais, voyez-vous, la variante trendy du ma?s bouilli dans l?eau ne reste pas tranquille parmi les marguerites. (La marguerite est le symbole des pensions de famille agrotouristiques) mais on la trouve aussi sur les plats des hôtels ? plusieurs étoiles, les muscles tendus au nom de la tradition sacrée et de l?authenticité qui autrement serait perdue. La polenta agrotouristique est devenue un projet. Les managers ne la négligeront plus et les experts en marketing dresseront l?oreille pour apprendre en temps utile de quel côté elle bout le plus fort.

On n?est plus surpris de découvrir que la polenta peut jusqu?? la fin des fins tomber sous la cooupe de l?imagologie. Si les hommes s?adressent les uns aux autres des jurons qui contiennent ce mot, le nom de cet aliment, l?obsession pourrait tr?s bien fonctionner aussi dans les stéréotypes de communautés enti?res. On dit des gens du village R. qu?apr?s avoir préparé la polenta, ils la pris du myrtillier et la mangent avec des mirtilles de cette façon rudimentaire. Plus nous entrerons fatalement dans l?Europe, et plus la polenta imagologique aura du poids dans la compétition dans laquelle elle est engagée, surtout avec la plus leste ?zacusca? (un stéréotype pour les bulgares?)

La diplomatie, au fait, devra veiller et prendre garde ? ce que la polenta roumaine n?explose plus dorénavant, ni vers l?extérieur, ni vers l?intérieur.

En mati?re de gastronomie, le superlatif serait: ?ce plat est si bon que le Président lui-m?me l?aimerait.? Et ce plat devrait absolument contenir aussi de la polenta. Il s?agit vraiment de la polenta presidentielle accompagnant le rôti, les saucissons, le fromage.

Rural ou urbain, consistant ou fait ? la va-vite, ce plat a réussi ? éveiller des passions m?me dans l?espace virtuel. On y trouve 256. 000 sites. Mamaligutza. ro vous enseigne comment préparer une mamaliga.